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• Les upaniṣad - Alyette Degrâces

Un article de Roger-Pol Droit lors de la parution de "Les upaniṣad" d'Alyette Degrâces chez en Fayard 2014. Cet ouvrage est pour moi une référence, il montre comment les questionnements des upaniṣad les plus anciennes ont donné l'impulsion à une puissante évolution des enseignements. Les points de vue Bouddhistes, Jaïn, du yoga et plus tard des tantra reprennent tous ce qui a été posé là à côte des Veda 800 ans avant notre ère. 

Par Roger-Pol Droit - Le Monde - 10 juillet 2014

"Les humains parlent le quart de la parole"  affirme l’antique texte indien du Rigveda. Ailleurs, dans les trois quarts restants, se tiendrait la puissance véritable de la parole, se déploieraient ses effets. De multiples processus silencieux se dérouleraient donc en-deçà et au-delà de ce qui est effectivement dit. Directement liés aux sons prononcés, ils sont pourtant d’un autre ordre. Ou plutôt, ils conduisent à repenser autrement ce que nous dénommons « parole » : au lieu d’être créée, elle se révèle créatrice. Cette thématique très ancienne, les Upanisad l’ont reprise, approfondie, métamorphosée pour aboutir à l’une des plus singulières démarches de toute l’histoire. Cette douzaine de textes de longueur inégale, rédigés en sanskrit entre le VIIIe et le VIe siècle avant notre ère, forment un des trésors spirituels majeurs de l’humanité.

Nées d’une réflexion sur les rituels, sur le statut de la parole dans les sacrifices, les Upanisad ont élaboré non pas une philosophie systématique et argumentative mais une sorte d’expérience sensible, à la fois intellectuelle et poétique, du chemin vers la connaissance suprême. Comment parvenir concevoir, dire et enseigner l’absolu, par définition inconcevable, ineffable et intransmissible ? Tel est le défi, par principe impossible à relever, avec lequel tentent de ruser un jeu très subtil de métaphores, de questions et réponses, de changements de registres. Cette perpétuelle mise en abîme du dit et non-dit, du dicible et de l’indicible font de la simple lecture de ces textes, pour quiconque s’y adonne, un itinéraire mémorable, sinon décisif. Encore faut-il pouvoir y accéder. Il n’y avait, jusqu’à présent, que des traductions françaises disparates et dispersées, de qualité inégale.

Le travail remarquable de la philosophe et sanskritiste Alyette Degrâces permet, pour la première fois, de lire l’ensemble des Upanisad dans une traduction française conduite d’une seule main. A première vue, le résultat paraît rigoureux et élégant, et la substantielle présentation, ainsi que les 2 312 notes de bas de page… évitent nombre de malentendus. Car divergences et querelles se sont amoncelées, dans la longue histoire des interprétations et commentaires de ces textes, parmi les plus lus du domaine sanskrit. Du philosophe Shankara, qui les revisite au VIIIe siècle de notre ère, jusqu’à Sri Aurobindo au début du XXe siècle, les Upanisad n’ont cessé de susciter de nouvelles élaborations.

L’Europe, elle, n’a commencé à les découvrir qu’à la fin siècle des Lumières, dans une transposition du français Anquetil-Duperron, traduction d’une version persane, et non des originaux sanskrits. Ce qui n’empêcha pas Schopenhauer de s’en enthousiasmer, au point de considérer à plusieurs reprises ces « Oupnek’hat » comme un des piliers de sa propre pensée. Quoi qu’il en soit, en dépit de nombreux lecteurs depuis deux siècles, la rencontre avec l’Occident demeure encore récente, à l’échelle de l’histoire des cultures. Cette édition en constitue un nouveau jalon.

Que vous restiez en ville ou prépariez vos valises, voilà un livre qui vous fera voyager – à tous les sens du mot. En outre, c’est sans doute le seul ouvrage dont, même en le lisant intégralement, vous aurez toujours au moins les trois-quarts encore à découvrir…"

Les upaniṣad - Textes traduits du sanskrit, présentés et annotés par Alyette Degrâces - Fayard

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