Ākāśa आकाश ◦ Blog

Quel est ton style de yoga ?

Le planning de tous les studios de yoga des villes occidentales est devenu identique. Comme le menu de tous les restaurants indiens l'est aussi, un mélange (masala) d'Hindi et de global-english qui cache une nourriture industrielle alors que l'Inde, dans d'autres sphères, a élevé l'alimentation au niveau de science médicale.

Sur le planning du studio, tu peux choisir des yoga dynamiques, comme s'il pouvait exister une pratique statique, sans mouvement respiratoire. Première césure et manipulation langagière qui témoigne de la segmentation de marché imaginée aux USA dans les années 90.

Le marketing exige des modèles de voiture différents pour séduire les jeunes, les vieux, les femmes, les hommes, les énergiques, les apathiques, les urbains et les aventuriers. On a imaginé outre atlantique des pratiques corporelles pour séduire les mêmes cibles marketing avec en constante, cette plus-value spirituelle implicite que laisse supposer le mot yoga.

Et voilà, hésitation entre power-yoga, ashtanga, vinyasa, yin, hatha, hatha-flow et j'en passe. Des gymnastiques plus ou moins douces ou toniques, le principe étant qu'il y ait un produit pour chaque cible et qu'on soit toujours diverti par du neuf.

En deçà de ces aspects formels, une psychologie positive sans rapport aux enseignements de yoga accompagne idéologiquement les adeptes de ce globish-yoga. Psychologie positive également importée d'outre-Atlantique et qui structure depuis plus quarante ans le management d'entreprise. Ainsi, du bureau au studio, du travail aux loisirs, en passant par la télévision et les journaux, l'employé n’entend qu’un seul discours aussi sécurisant que source d'inconscientes angoisses.

Il y est question d'évoluer, de s'améliorer, étant sous-entendu que quelque chose en soi ne convient pas à la vie terrestre. Et en même temps, il n'est question que de valeurs positives. Prendre soin de soi, s'écouter, savoir évaluer ses besoins et les placer en priorité. Et il est question de gestion, de gérer son stress, gérer ses émotions, gérer son alimentation, sa santé, ses rencontres sentimentales et son temps libre. Bref trouver équanimité et bonheur dans la gestion comme si l'humain était un compte-client à bien manager et sans pensée négative aucune. Bon courage pour réussir un programme égocentrique à ce point. Moi-moi-moi toujours moi, rien que moi, signe de temps individualistes et d'isolement.

Yoga est-il cet objet de consommation à la mode, au carrefour de la gymnastique de santé, de la spiritualité new-âge et peut-être un jour de la religion universelle, rêvée par les chantres de la mondialisation ? Bien sûr que non !


Yoga en langue Sanskrite

Considères Yoga comme un verbe avec son participe-passé plutôt que comme un nom commun ! Il sera désormais impossible de dire "le yoga", "le yoga est ceci ou cela", "le bidule-yoga", "le yoga de machin" ou "mon yoga", autant de lieux communs qui désignent des objets.

Yoga : « joindre/joint, unir/unis/union, mise au repos » en Sanskrit.

Les enseignements de yoga (d'union) montrent comment l'humain se joint à "ce qui soutient" le monde : dharma. Une façon habile de montrer le chemin de l'unité, de la relation au divin en passant par l'expérience de la parfaite horlogerie qui soutient la nature mais qui n'est pas la nature.

Le mot dharma (ce qui soutient) ou plutôt ce qu'il désigne doit-être vu et pleinement intégré ! La nature dont nous faisons partie est naturante, en perpétuels mouvements qui semblent désordonnés, elle est imparfaite et duelle. Lieu de désir et de peur, de souffrance et de joie, d'orage et d'arc en ciel, d'espoirs et et de catastrophes. L'expérience de vivre dans le plan manifesté de la nature est chaotique, c'est ainsi.

Mais une observation plus poussée du monde révèle une horlogerie sous-jacente et divine, de mouvements parfaits, régis par des lois fiables et stables, à l'image de ce que laisse voir l'astronomie, la danse ordonnée du cosmos : dharma

Dharma : « Ce qui soutient, loi, éthique »

Tu vois ? La curiosité est une merveilleuse qualité qui permet de passer derrière le miroir des apparences. Les yogin sont comme Alice, animés du désir de connaître le monde pour de bon et souvent avec la même candeur déterminée. Scientifiques avant l'heure, ce sont des explorateurs, des expérimentateurs, les aventuriers d'un ardent désir de voir !


Tradition

Traditionnellement et peut-être un peu trop idéalement, les métiers d'officiant du rituel, d'astrologue, de médecin, d'architecte, de gouvernement du royaume en duo avec les guerriers, requièrent ces qualités visionnaires cultivées dans la pleine expérience du monde.

Ce pourquoi les "porteurs de parole" (brahmin) sont élevés expérientiellement et souvent à la dure. De longs pèlerinages à vivre de mendicité pour apprendre l'humanité. De longues retraites d'études et de contemplation en montagne ou en forêt. L'exercice du silence, de scansion des paroles de la magie rituelle et d'apprentissage à bien être et bien dire afin d'être à l'écoute et entendu. Voilà l'essentiel des pratiques ancestrales, un travail d'extrême rigueur sur le verbe et le son à partir du silence et du Sanskrit, la langue par-faite (saṃ-skṛtam) des rites magiques et de l'enseignement.

Ce cadre traditionnel n'est pas en opposition au désir d'Alice dont je serais porteur. Le désir de voir simplement et d'être simplement, en sont même l'essence, sinon gare aux voies de perdition du pouvoir en frustration. La connaissance véritable n'est pas une affaire de caste et de mondanités, le voyant se tient au cœur de chacun.

Les enseignements de yoga ont beau sembler ésotériques, ils sont en réalité accessibles à qui le désire. Il suffit de demander d'une voix claire, témoin de cette véritable volonté de se joindre à l'éthique ! Un sésame valable de tout temps et qui transmute ce qui semblait hermétique en clarté.


Histoire

Quel rapport avec les exercices corporels de yoga à la mode en occident depuis la deuxième partie du 20e siècle ? À priori la relation est ténue mais pourrait se déployer à la lumière des enseignements ancestraux.

Une salle de classe avec ses tapis de plastique disposés au cordeau en lignes et colonnes. Avec ses exercices gymniques stéréotypés en Californie dans les années 90 n'a à priori pas de rapport à notre sujet. Il serait même mieux fondé de s'inscrire au conservatoire et d'apprendre le chant ou un instrument de musique pour approcher l'harmonie (dharma). C'est ce que me conseilla un maître de musique hindoustani rencontré il y a vingt ans. Je n'ai pas suivi son conseil mais ses paroles ont profondément modifié ce que je croyais et voyais.

Les natha-yogin du 16e siècle, dans une quête absolue de divin, ont inventé les moyens d'un très puissant engagement qui puisse permettre l'effondrement de notre structure égotique. Un effondrement ou une érosion selon le degré d'engagement dans des exercices corporels vus comme moyens de modifier la respiration et la circulation des souffles.

Ces yogi-nath tantriques étaient des va nus pieds souvent issus de castes inferieures, plus proches du punk à chien que du parfait commercial et qui feraient certainement horreur à bien des bobos fan de fitness-yoga.

Les formes posturales consignées dans la Haṭhayogapradīpikā ou la gheraṇḍasaṁhitā, des textes témoins de ces pratiques des 16e ou 17e siècle, sont des moyens radicaux de transformation. Mais les mêmes contorsions, vides de leur intelligence de yoga, pourraient être prétextes à ingérer l'idéologie consumériste du néo-capitalisme. Tout est question de mesure de l'engagement et de la qualité de parole, de transmission orale, de compréhension d'une façon de faire et d'être.

Transpirer pour devenir un bon petit soldat du capitalisme, obnubilé par l'image ou obsédé par une technicité paramédicale et ses bénéfices, oui j'entends constamment parler des bénéfices du yoga ! Ou à l’inverse, se poser seul en retraite mais soutenu par un enseignant qui transmet paroles, structures et moyens de voir enfin comment est le monde. Plonger au long cours dans ces enseignements comme on plonge dans la musique, accepter de se laisser enseigner par le principe de réalité. Des approches antinomiques qui pourraient être basées sur les mêmes formes corporelles apparentes. Ceci pour te faire sentir que tout est dans l'intention, le silence, la conscience et le choix des mots.


Gymnastique de santé & spiritualité

Au cours du 20e siècle, dans la sphère coloniale britannique de l'Inde, une gymnastique de santé fut inventée et promue auprès de l'aristocratie puis de la grande bourgeoisie. La gymnastique suédoise était déjà pratiquée dans ce milieu cosmopolite mêlant diplomates et businessmen aux aristocrates Indiens. La modernité occidentale y était partagée, palais et villas étaient électrifiés, on roulait en automobile et on dansait au son des gramophones.

Quelque brahmanes puisèrent avec génie dans le fond tantrique, dans ces exercices corporels de yogi-nath et créèrent une super-gymnastique Indienne et spirituelle de surcroît. Issue des austérités très dures réservées aux renonçants que sont les saṃnyāsin, ces va nu pieds chevelus, sortes de saints marginaux, sadhu respectés et craints pour leurs pouvoirs magiques, parfois sages et souvent fous.

Après la révolution socialiste de 1947, ces gymnastiques yoguiques furent promues hors de l'Inde. Des millions de brahmanes se trouvèrent démunis, coupés des ressources de l'impôt levé par l'aristocratie et fragilisés par la moindre rémunération des services rituels. Certains émigrèrent à l'ouest en créant le métier d'enseignant spirituel pour occidentaux.

Ces pionniers indiens ont fait autorité à l’ouest dans les années 60 à 80, laissant ensuite la place à une première génération de leurs élèves. Le marché et le jeu de la concurrence ont achevé le boulot de transformation de ces enseignements en produits de consommation souvent à l'insu de leurs initiateurs. Au point qu'aujourd'hui, ces objets de fitness-yoga soient réexportés en direction de classes moyennes Indiennes qui ignorent leur essence et leurs racines. À l'image de chrétiens occidentaux qui ont été au catéchisme, connaissent un certain folklore liturgique mais ignorent tout des racines chrétiennes. Le 21e siècle a uniformisé les classes moyennes de tous les continents.


Le champ des possibles

Le tableau n’est pas sombre, regarde les joyeuses couleurs des magazines qui vantent les vertus du yoga. Ne te laisse impressionner ni par la publicité ni par mon discours volontairement iconoclaste. Je tiens à te donner des informations divergentes qui puissent aider à voir dans la complexité. Affuter le sens du jugement est bien le point de départ de l’enseignement de yoga. A commencer par discerner jugement de condamnation, juger sans avoir besoin de condamner, conscient de ton incapacité à tout voir, clair avec ce qui est véritablement vu !

La question "quel est ton style de yoga" revient à regarder coment étudier ensemble, ce qui est à l’œuvre dans cette lecture. Impossible de répondre "J'enseigne le Cheese-nan-yoga® et le Masala-spicy-flow®", tu vois bien pourquoi ça aurait été ridicule. Blague à part, il est saugrenu de se réclamer d’une institution, d’une méthode, d’une secte ou alors dont acte ! Au risque de répéter une leçon apprise. Ceci dit, il est important d'aller voir à quoi ressemblent ces lieux, il y a évidement à y apprendre, même en creux. Et certains sont faits pour y tenir un rôle. 

Au cœur des enseignements de yoga, exactement au centre, il y a l’assise et le silence... la relâche de l'effort et une façon singulière de se laisser colorer par les rencontres sans se laisser déformer. L'assise et le silence peuvent-être pratiqués en condition de retraite mais pas forcement, il est bon d’avoir le temps d’apprendre tranquillement les bases de méditation. C’est très simple mais simple ne veut pas dire facile !

Tu as compris qu'une pratique gymnique n'est pas un moyen indispensables à l'éveil du regard. Mais pour moi, une pratique corporelle engagée et équilibrée est une excellente idée. Un préliminaire extrêmement précieux à la rencontre d'éléments qui auront une grande importance dans l'assise (āsana).

Lors de séances de pratique corporelle bien menée, nous apprenons des milliers de fois en répétition à permettre aux souffles de circuler librement alors que leur libre mouvement est obstrué par les aléas de la vie. Il y a un entraînement singulier qui concerne aussi bien la matière corporelle que les canaux subtils. Formellement, nous étudions mille façons de respirer en fonction de mille exercices à la fois différents et similaires.

Oui, en vérité il y a des fruits à tout ceci, comment pourrait-il ne pas y en avoir ? Mais les enseignements de yoga indiquent que la pratique est faite de répétition, dans le sens d'artistes en répétition, et de détachement des fruits de nos actes. Apprenons à nous engager pleinement et sans attente particulière, c'est ce qui permet aux fruits les plus divins d'apparaître.

Enseignement
En ligne
Joachim
Blog
Archive