Ākāśa आकाश ◦ Blog

• Āsana : assise

Un pas de côté dans la sphère bouddhique grâce à cette image de Shunryu Suzuki, l’un de ceux qui a donné les pratiques méditatives à l’occident. Voyez comme sa posture est stable, il semble peser lourd et sa colonne vertébrale est parfaitement érigée, rien ne s’effondre alors que sa musculature est détendue. Ses épaules sont basses et sa poitrine est pourtant dégagée.

Pour quelqu’un de non-entraîné, se tenir droit est possible à grand renfort de tension. Il est même possible de serrer les mâchoires dans l’espoir de se soutenir. Les pratiquants le savent, une heure d’assise et parfois seulement dix minutes, peuvent révéler de grandes crispations musculaires et mentales.

L’assise révèle notre état d’être alors que nous sommes engagés dans l’action. Là, l'action est réduite à sa plus simple expression, histoire que tout soit bien visible. Certains s’endorment, d’autres s’énervent, nous sommes tous confrontés à l’état profond du moment. Il suffit de s’assoir, de ne rien faire sinon respirer et le masque que nous portions tombe simplement parce que nous cessons de le tenir. L’assise est le plus simple et radical laboratoire de connaissance de soi.

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Dans l’enseignement du yoga, l’assise est placée exactement au centre. Les trois sūtra qui lui sont dédiés se trouvent à l’exact milieu des yogasūtra comme l’articulation placée entre deux grands moments. S’assoir est le passage entre la ferveur de l’engagement et la maîtrise qui demande de relâcher l’effort entrepris jusqu’alors. 

YS II.46  sthirasukham āsanam
Érigée et heureuse la posture,

YS II.47  prayatnaśaithilyānantasamāpattibhyām
par relâche de l’effort et transformation de pensée en infini ;

YS II.48  tato dvandvānabhighātaḥ
de là, la non-destruction par les couples d’opposés.

Jusque-là, l'enseignement nous invitait à s'engager dans un travail de discernement, d’abandon de nos habitudes et lieux communs de pensée, d’acte. Un vrai travail sur soi ! A partir du moment où nous sommes assis, nous entrons de fait dans la maîtrise des souffles et la méditation. Ce processus d'affinement de notre sensibilité qui mène à la compréhension, au samādhi longuement décrit. Le processus a lieu en un instant… ou pas… ou pas tout à fait… l’assise est une pratique comme le discernement en est une, toujours à remettre sur le tapis.

La pratique au cœur du yoga, initiée par l’assise se nomme en Sanskrit "totale-maîtrise" (Sam-yama), elle consiste à s’assoir et répéter le processus méditatif jusqu’à le connaître et l’intégrer naturellement. Les musiciens répètent et pratiquent sans se poser plus de question, les yogi agissent de même dans āsana. Non-agir consiste à faire ce qui est bon sans attente particulière, juste parce que c’est bon. Et si aujourd'hui l'inconfort se présente, peu importe, l'important est d'être là pleinement présent.

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Joachim

• Samādhi : extase ?

Extase est un mot du Français qui rend extraordinairement difficile l'approche du yoga. Il est généralement associé au samādhi du Sanskrit et cette traduction est la plus courante car samādhi est dans l’usage des textes antiques du yoga, un mot aussi important qu’extase l’est pour les cultures et langues occidentales.

Pour moi qui ne suis pas linguiste*, extase porte dans l'usage actuel, une "sortie de soi", un éclatement. Je vois bien qu’on tombe en extase un peu comme on s’éclate en boite de nuit. Il y aurait des états extatiques faits de grandes excitations suivies de catalepsies, du très spectaculaire. Alors j’ai toujours accueilli la traduction avec circonspection, ne voyant pas dans mon expérience le rapport entre les pratiques de yoga et s’éclater qui va dans le sens de la dispersion.

Samādhi est donné comme le but des pratiques mais ce but s'échappe lorsqu'on essaie de le saisir. Samādhi est une capacité particulière à accueillir entièrement un objet de connaissance, un être, voir même l’ensemble du monde. Une façon de s’établir en relation directe, de cœur à cœur, une façon immédiate d’intégrer, de comprendre. Rien là de spectaculaire, au contraire, apprendre est tout à fait ordinaire mais souvent trop mécanique pour que la connaissance soit vraie.

Nos ancêtres yogi ont donc pensé la nécessité d'apprendre à écouter le réel plutôt que de se remplir d'automatismes, de réflexes, de conditionnements liés à l'imaginaire. Il n'y a dans les enseignements à la racine du yoga aucun spectacle ni fantasme de type extatique ou orgasmique, il y a simplement le désir d'être au monde le plus simplement et entièrement possible.

Samādhi porte cependant de grandes attentes dans les traditions des Indes et son étymologie est riche : sam-ā-DHĀ (sam : ensemble, une totalité - ā : intensément - DHĀ : poser, placer). Il est question de "tout-rassembler", "tout-intégrer", un mouvement qui va vers le centre et que les enseignements montrent comme un accueil sans interférence du moi, une connaissance de cœur à cœur.

Les enseignements de yoga ont pour vertu de nous montrer comment affiner notre capacité d’écoute, notre sensibilité afin d’apprendre à accueillir sans déformer. C’est là tout le contraire d’un éclatement extatique qui favorise l’excitation et l'imaginaire au lieu du silence et de l’écoute.

Alors, jette-t-on extase à la poubelle yoguique ?

La langue des oiseaux montre un autre chemin : ex-stase peut aussi se voir comme une sortie de l’immobilité, la sortie d'une stase morbide, une remise en marche, une façon de re-joindre le mouvement de la vie. Et là, la couleur des enseignements du yoga reprend la teinte d’une joyeuse connivence avec le français.


* Un détour par Wikipédia confirme le sens profane du terme : « (du grec ἐκ, "en dehors", et ἵστημι , "se tenir" : "être en dehors de soi-même") désigne un état où l'individu se ressent comme "transporté hors de lui-même" caractérisé par un ravissement, une vision, une jouissance ou une joie extrême. L'extase peut être d'origine mystique ou survenir en d'autres circonstances. »

Et un détour par le Littré :
1) Terme de la vie mystique : Élévation extraordinaire de l'esprit, dans la contemplation des choses divines, qui détache une personne des objets sensibles jusqu'à rompre la communication de ses sens avec tout ce qui l'environne.
2) Par extension, vive admiration, volupté intime qui absorbe tout autre sentiment.
3) Terme de médecine : Affection du cerveau dans laquelle l'exaltation de certaines idées, absorbant l'attention, suspend les sensations, arrête les mouvements volontaires, et même ralentit quelquefois l'action vitale. L'extase diffère de la catalepsie, en ce que, dans la catalepsie, les fonctions intellectuelles sont complétement suspendues, tandis que dans l'extase elles sont seulement détournées.

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Joachim

• Sexualité & émancipation

Saviez-vous que les éleveurs, dans leurs troupeaux, séparent toujours les mâles des femelles ? Surtout les éleveurs de mammifères, pour des raisons de contrôle de la reproduction bien sûr mais pas seulement. Une vache et un taureau seuls dans un pré deviennent rapidement incontrôlables et aucune clôture ne les retient bien longtemps. Alors que séparés ils dépriment sagement, chacun dans son coin, tout désir d’émancipation, de s’en aller librement ayant disparu. 

Voyez ce qui se passe dans les sociétés humaines depuis que l’Histoire nous est contée. Les hommes semblent être destinés à la guerre et au travail alors que les femmes assurent la permanence du foyer. A se demander si femmes et hommes se côtoyaient bien souvent.

Facile de voir comment la séparation des sexes facilite le dressage de générations de soldats, de travailleurs et de femmes au foyer. Chacun pris dans sa tâche au service de l’ensemble, les empires ont eu besoin de cette disponibilité, de ces bras, de ces jambes et de ces utérus.

Voyez comment les grandes religions monothéistes ont accompagné l’œuvre impériale par des règles morales clivantes sexuellement et comment l’industrie et sa presse, depuis 200 ans, la poursuit encore. Il faut toujours des femmes et hommes séparés de leur nature profonde et les uns des autres pour remplir champs agricoles et de batailles, usines et bureaux.

Après les deux grandes guerres du 20e siècle, ces hécatombes sans précédent suivies de « plus jamais ça », les règles semblaient avoir changé. L’extrême souffrance avait permis des exigences ; la séparation de la presse et des banques qui faisaient trop bon ménage pour gouverner ensemble. Et les solidarités face à la maladie, au chômage et à la vieillesse et le droit de vote des femmes sont apparus à la fin des années 40.

Et c’est une liberté « sexuelle » qui s’en est suivi, un phénomène pas facile à cerner. Le sujet d’aujourd’hui n’est pas de commenter dans le détail ce qu’a été vraiment la liberté sexuelle des années 50, 60 et 70. Il est certain qu'elle a été digérée et s’est transformée en liberté de consommation à partir des années 80. Durant ces décennies, les femmes sont devenues des travailleurs, le rôle des hommes au sein de la famille a évolué et les religions ont été mises au placard.

L’inégalité entre femmes et hommes est le thème qui est resté vivace dans le débat public aujourd’hui. Il n’y a jamais eu autant de lois et de battage médiatique sur le sujet qu’aujourd’hui. Là encore, la question n’est pas de vouloir commenter le phénomène mais de l’observer… qu’est-ce que cette inégalité ?

On parle d’inégalité d’accession aux postes à responsabilité des hautes sphères de la société et on parle aussi de la violence sexuelle des hommes. Deux sujets très soutenus et repris dans la sphère médiatique.

Prenez vraiment le temps d’observer ces deux sujets…

Et voyez comment ils vous touchent… comment ils opèrent à la lumière de votre expérience…

Pour moi qui suis un homme il y a de la culpabilité, pourtant la course à la promotion professionnelle comme l’agression sexuelle me sont étrangères. Mais il y a un sentiment de culpabilité car dans le jeu proposé, la séparation est imposée. La règle du jeu médiatique inclus que je suis dans le camp des hommes contre le camp des femmes. Est-ce ainsi qu’on sépare les femmes des hommes ?

Alors que l’inégalité et la violence sexuelle sont mises en avant, c’est la solidarité face à la maladie, au chômage et à la vieillesse qui sont détruites en coulisse. Est-ce ainsi qu’on gouverne ? Et regardez comment la séparation des femmes et des hommes, poussée plus loin, mène au désespoir au Moyen-Orient ou en Inde ! La guerre qu'une classe sociale dominante économiquement et médiatiquement livre à l'humanité ne chercherait-elle pas à se dissimuler derrière une guerre des sexe artificiellement orchestré ?

Sexualité & émancipation

Je me suis toujours senti entier auprès d’une femme et je me suis déjà senti anéanti lors d’une séparation. Pas besoin de long discours pour montrer le phénomène, oui les petits humains sont incomplets et ont la possibilité d’une forme d’unité particulière à la sexualité. Je suppose que chacun(e) a le goût de cette unité dans ses mémoires, même sans l’avoir absolument vécue. Cette plénitude, ce trésor de l’humanité, cette mémoire partagée est inscrite en nous.

C’est certainement héroïque de tenter encore et encore l'aventure, au vu de la description précédente. C'est pourtant le seul héroïsme qui vaille, qui ne dépends pas que de moi. Pour qu’une aventure amoureuse se déploie vraiment sans avorter, il faut que l’univers entier complote, grâce à un accord étendu qui dépasse de loin les deux protagonistes.

Prenez vraiment le temps d’observer cela…

Voyez comment êtes touché(e)… comment cela opère à la lumière de votre expérience…

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Joachim

• Non-dualité

Non-dualité est un terme à la mode depuis longtemps, il laisse supposer que la dualité, c'est mal ou has-been. Qu'il serait mieux d'être non-duel que duel et la très interprétée philosophie de l'advaita-vedānta a le vent en poupe depuis le début du vingtième siècle sans que soit vue la scission malheureuse entre dualité et non-dualité. De là à penser que "penser est mal" et qu'il vaut mieux être seulement instinctif, positif et heureux plutôt que pensant, émotif et malheureux, il n'y a qu'un pas allègrement franchi !

(a-dvaita : non-double, veda-anta : fin des veda. Des termes sanskrit prompts à faire croire qu'il y a là transgression et amélioration des veda en une philosophie supérieure. Nous vivons à l'époque des slogans publicitaires et de la croissance qui rendent difficile à voir, ce qui demande présence et souplesse d'esprit).

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L’enseignement de la non-dualité est une profonde reconnaissance de la dualité. Le mot reconnaissance est important, il renvoie à l’expérience et à la mémoire. Comme si le monde entier était en mémoire, en écho à l’intérieur de chacun et qu’il était possible de le dé-couvrir. D'enlever les voiles qui séparent et voir, re-connaître ce qui de toute éternité est connu.

En vérité le Monde est duel, fait de dvandva que le sanskrit désigne comme couples d’opposés. Les êtres humains vivent dans la dualité. Pas d’expérience du froid sans expérience du chaud. Pas de bonheur sans appui sur la souffrance. Pas de libération sans expérience de l’enfermement. Pas de fusion sans séparation. Pas d’autonomie qui ne soit nourrie par une dépendance, ni d’amour sans peur de la perte.

Certains aimeraient vivre seulement une température clémente, seulement le bonheur, seulement la liberté, seulement l’unité, seulement l’autonomie, seulement l’amour… sans avoir à jamais expérimenter ni le froid, ni le chaud, ni la souffrance, ni l’enfermement, ni la séparation, ni la dépendance, ni la perte, ni la peur.

L’enseignement de la non-dualité consiste en expériences tout à fait ordinaires vécues à la lumière des dvandva, les couples d’opposés. L’expérience du trop froid et du trop chaud enseignent comment agir lorsque la température varie. L’expérience de la souffrance et du bonheur de perdre et rencontrer un ami, un amour enseigne comment aimer.

Intégrer, se laisser traverser et enseigner par la vie sans être victime des conditionnements qui refusent la richesse de l’expérience alors que de toute évidence, elle est présente.

Ne bien vouloir que le tiède, le bonheur, la liberté, l’unité, l’autonomie et l’amour c’est se condamner à souffrir lorsque autre chose que l’objet de son désir se présente. Agir ainsi c’est être pris dans une idée de ce qui est bon et de ce qui est mauvais alors que tout enseigne. Agir ainsi c’est se couper du monde, se couper de la dualité, c’est être pris dans un désir unique alors que le monde est riche de possibles, c’est confier son sort à la déception.

L’enseignement de la non-dualité montre par l’expérience que le mal, l’ombre, la souffrance n’existent pas alors que oui j’ai mal, il fait nuit et « on » me maltraite etc… Le changement de regard, la souplesse avec laquelle vous changez de point de vue pour être bourreau puis victime permet de voir comment les jeux de rôles se déploient. Une fois vu, le jeu s’effondre et vous n’êtes plus victime ni bourreau mais voyant !

L’enseignement de la non-dualité montre par l’expérience que les rôles sont interchangeables et que rien ne vous condamne à rester là où vous êtes ni à répéter inlassablement les mêmes scenarii. Il faut de la curiosité et du courage ou tout simplement reconnaître l’évidence que la vie vaut d’être pleinement vécue.

Alors il y a alliance fusion avec la source même de vie, il y a confiance et unité dès lors que la séparation est acceptée. Les p’tits humains que nous sommes sont séparés car in-dividus et de là même, une part de la divinité humaine.

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• Audio : Des Veda aux Tantra

3 500 ans de tradition orale
Joachim Vallet
1h54mn

Causerie enregistrée à Paris le 29 septembre 2017. Donnée en présence de personnes intéressées par le yoga, les tantra et le chamanisme. La question a été de mettre en perspective ces mots dans l'Histoire et les traditions des Indes.



De l'antiquité Védique aux modernités successives de moyen-âges classiques puis tantriques, une continuité sans rupture nous donne un enseignement d'une très profonde cohérence.

Les traditions des Indes sont avant tout orales et pourtant une infinité de textes ont été écrits dans le champ spirituel et religieux. N'y voyez pas de contradiction mais une complémentarité. Les principaux écrits à l'origine des traditions de Yoga (Veda, Brahmaṇa, araṇyaka, upaniṣad anciennes, Bhagavadgītā et les 6 darśana puis les tantra) sont des supports de transmission orale, ils ne disent pas la loi !

La chose est difficile à assimiler pour nous occidentaux : non le texte ne fait pas office de vérité, c'est la parole qui est vraie... ou pas ! C'est la parole qui est dynamique, vivante et porteuse de réalité. L'écrit peut servir de fil conducteur à la façon d'un aide-mémoire, histoire de ne rien oublier. Et il rend là de fiers services à la transmission, il est bon de le reconnaître.

Il y a au travers de la parole transmise de génération en génération une culture du vivant qui relie en diagonale des temps anciens et "chamaniques" aux modernités successives du moyen-âge à nos jours.


• Les trois corps de textes de la Tradition :



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